Le racisme inversé, un mythe réactionnaire
Le 21 février, c’était la semaine de la philosophie. Plusieurs activités fort intéressantes se sont déroulées, dont la présentation du film Chien Blanc, au Grand Théâtre.
Ce long-métrage d’Anaïs Barbeau-Lavalette[1], inspiré du roman du même nom de Romain Gary (1972), raconte le point de vue de l’écrivain et l’actrice Jean Seberg, sa femme, lors des émeutes à la suite de la mort de Martin Luther King en 1968, alors qu’ils habitent aux États-Unis. Tout au long du film, Gary et Seberg se demandent comment soutenir la cause de l’égalité raciale. L’écrivain entreprend, avec l’aide d’un entraîneur afro-américain nommé Keys, de délivrer un « chien blanc », éduqué pour être agressif envers les personnes noires et utilisé par la police (et avant eux les esclavagistes), de son racisme. L’actrice, elle, sort dans les rues et joint les manifestations, les caméras projetées sur elle. Les Black Panthers, désemparé.es devant leur manque de visibilité à cause de l’attention médiatique de l’actrice, vont jusqu’à vandaliser sa maison. Après ces actes, Romain Gary va chercher le chien blanc chez Keys et est surpris d’être attaqué par l’animal à son arrivé. Effectivement, le chien est maintenant agressif envers les personnes blanches.
La morale: Il faut faire attention pour que le racisme ne soit pas inversé. Est-il possible de désapprendre ses préjugés raciaux?
Par sa nature détachée du concept de société et sa malléabilité, le chien représente un canevas, l’état du racisme des humains.
Bien qu’il soit vrai que toutes discriminations et tous préjugés, qu’ils soient positifs ou négatifs, sont nocifs pour la cohabitation humaine, la notion de racisme envers les Blanc.he.s, de racisme dit inversé, ne tient pas la route, et ignore les causes mêmes de l’existence du racisme et de sa profondeur.
La création du racisme, une question de pouvoir
Le racisme a été créé dans le but de justifier l’exploitation des Africain.es par le biais de la traite d’esclaves. En effet, la notion de race est relativement nouvelle dans l’histoire du monde. Elle a fait ses débuts aux alentours du XVe siècle et a connu une véritable théorisation dans les années 1730, avec les Systema Naturae de Carl von Linné, décrivant de manière détaillée les caractéristiques primordiales des quatre races. Systema Natuarae, et bien d’autres travaux dans les 300 ans qui s’étaient écoulées depuis le début de la traite des Noir.es par les Européens, impose donc la suprématie de la race blanche, jugée comme la plus vigoureuse et la plus logique, puis l’infériorité des autres races, soit (dans l’ordre) les Asiatiques, les Premières Nations et les Noir.es. Par ces caractéristiques, les colonisateur.ices justifient donc leurs politiques terroristes, telles que l’asservissement des personnes noires et le génocide des Premières Nations. Se décrivant également comme la race exemplaire, les Blanc.he.s justifient alors ces crimes par la mission chrétienne civilisatrice de la « race exemplaire ». Le racisme lui-même est donc intrinsèquement lié à la suprématie blanche, puisqu’il a été inventé pour justifier ces crimes et non le contraire. Le racisme antiblanc ne peut donc pas exister. Cette hégémonie des personnes blanches est encore bien présente dans nos sociétés, puisque notre pays est construit sur des actes contre l’humanité justifiés par le racisme. Nos systèmes de gouvernement et l’inaction populaire y sont donc toujours liés. Il suffit d’ouvrir les yeux pour remarquer non seulement le manque de représentation des personnes racisées dans les médias, mais aussi les inégalités économiques et judiciaires auxquelles elles font face.
Le racisme au Québec, toujours présent
L’Observatoire des inégalités raciales a publié une recherche sur les disparités socio-économiques et les discriminations à l’emploi que les personnes racisées, les immigrant.es et les Autochtones subissent au Québec. En 2001, le taux de chômage des immigrant.es était de 12% tandis que celui de l’ensemble de la population se trouvait à 8%. Les minorités visibles ont un taux de chômage encore plus élevé, soit de 14% si elles sont nées au Canada et 15,4% si elles sont nées à l’extérieur du pays. Cette tendance se maintient encore en 2020, malgré une hausse du taux de chômage dans tous les groupes.[2] Les Autochtones sont aussi énormément touchés par des disparités au niveau du taux de chômage: en août 2020, les membres des Premières Nations avaient un taux de chômage de 18,6%, les Métis de 15,1% et les personnes non autochtones de 11,3%.[3] Les minorités visibles sont aussi plus susceptibles de rencontrer de la discrimination dans leur recherche d’emplois, d’autant plus si elles sont immigrantes. 85% des personnes noires des Caraïbes, 50% des Sud-Asiatiques et des Japonais.es, 43% des latino-américain.es, 38% des Arabes, 25% des Noir.es Africain.es et des Chinoi.ses estiment avoir été victimes de ce type de discrimination, contre 17% de la population non immigrante qui ne font pas partie d’une minorité visible.[4]
Ne « pas être raciste » ne suffit donc pas à exterminer le racisme, puisque celui-ci est encore présent et vivant même si on dit « ne pas voir la couleur ». Dire qu’on n’est pas raciste, c’est éviter le problème, le nier. Il n’y a pas de neutralité face à un système d’oppression; le problème est là, devant nos yeux, et on est né.es dans un environnement qui permet au problème de perdurer à cause de cette inaction:
« Soit on soutient l’idée d’une hiérarchie raciale en tant que raciste, soit celle d’égalité raciale en tant qu’antiraciste. Soit on croit que les problèmes trouvent leurs racines chez des groupes de gens et on est raciste, soit on situe les racines de ces problèmes dans le pouvoir et la politique et on est antiraciste. Soit on permet aux inégalités raciales de se perpétuer et on est raciste, soit on combat les inégalités raciales et on est antiraciste. Il n’existe pas d’entre-deux, pas de safe space qui correspondrait à “pas raciste”. »[5]
Pour combattre le racisme, il faut situer l’impact du racisme dans sa vie, qu’il soit bénéfique ou nocif, et revenir sur ses propres préjugés avant tout. Il faut arrêter de se cacher derrière la crainte de confronter ses propres défauts pour les corriger. L’antiracisme est donc une affaire de tous, il ne tient qu’à nous pour combattre ces inégalités par l’introspection, l’écoute et l’action.
Alexis Coutu
[1] Anaïs Barbeau-Lavalette est une réalisatrice et écrivaine québécoise ayant aussi réalisé La déesse des mouches à feu. Ses œuvres sont pour la plupart engagées, majoritairement dans la lutte de l’égalité des genres et des sexes. (Tiré de: SANS AUTEUR, « Anaïs Barbeau-Laviolette », dans dir. Etienne Langlois, centre du théâtre d’aujourd’hui, https://theatredaujourdhui.qc.ca/anais-barbeau-lavalette (Page consultée le 11 mars 2023).)
[2] Toutes les informations depuis le début de cette section proviennent de la même source (Tiré de : L’OBSERVATOIRE DES INÉGALITÉS RACIALES AU QUÉBEC, BULLETIN N° 1 – ÉTAT DE LA RECHERCHE SUR LES DISPARITÉS SOCIOÉCONOMIQUES ET LES DISCRIMINATIONS RACIALES À L’EMPLOI AU QUÉBEC, Montréal, Université de Montréal, 2021, p.4,https://oriq.info/wp-content/uploads/2022/06/Print-Bulletin-No-1.pdf (Page consultée le 18 mars 2023))
[3] CANADA, STATISTIQUE CANADA, Répercussions de la COVID-19 sur le marché du travail des Autochtones vivant hors réserve dans les provinces : mars 2020 à août 2021, Ottawa, 2021, https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/45-28-0001/2021001/article/00037-fra.htm (Page consultée le 18 mars 2023)
[4] Ibid, L’OBSERVATOIRE DES INÉGALITÉS RACIALES AU QUÉBEC, p.6
[5] Ce texte est basé majoritairement sur la lecture du livre Comment devenir anti raciste, (disponible à la bibliothèque du Cégep, 305.800973K33h.Fc), écrit par Ibram Xolani Kendi, historien et fondateur du centre de recherche sur l’antiracisme de l’American University de Washington. (Ibram X. KENDI, Comment devenir anti raciste, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 2020, p.18)