Je suis trans et je suis en criss.
Vous avez bien entendu.
Je suis né, j’ai grandis, et j’ai regardé mon visage, et j’ai dit à ma mère:
« Maman, ma voix est trop garçonne et ma mâchoire trop carrée. Je pense pas être capable d’être une fille. »
Mais on n’a pas compris ce que je voulais dire. C’était pas une insécurité féminine, c’était simplement mes yeux qui entendaient ce que mon cœur ressentait. On m’a dit que j’étais une très belle fille et que ce n’était pas vrai. Ben non, cocotte, t’es belle comme tu es.
J’ai grandi en m’éloignant le plus possible de la masculinité. Je pleurais quand on me coupait les cheveux. Je portais constamment des robes de princesse. J’adorais le rose, puis quand les gens ont compris que j’aimais le rose, j’ai soudainement changé de couleur préféré parce que c’était off. J’ai vraiment essayé, je vous le jure. Et tard le soir, je me remémorais toutes les choses dont j’avais honte. J’avais l’impression que la réalité n’était pas réelle. Que les autres n’existaient pas pour de vrai, que moi non plus. J’ai déjà demandé à ma mère:
« Est-ce que tu as l’impression de jouer un jeu, de pas vraiment t’inquiéter pour les autres pour de vrai? »
Elle m’a répondu que c’était normal de se foutre un peu plus des autres que de soi-même. Moi, j’me sentais encore hypocrite. J’aurais voulu être mentalement présent. Mais bon. J’ai continué. J’ai appris c’était quoi être non-binaire dans un documentaire sur Télé-Québec. La personne interviewée a dit qu’elle ne s’était jamais vraiment senti comme le genre qu’on lui avait assigné à la naissance. « Je ne sais pas ce que ça veut dire, moi, être un gars ou être une fille. C’est la même chose dans ma tête, c’est pas important, c’est presque contraignant ». Et je me suis dit:
« C’est pas tout le monde qui pense que c’est cave le genre? Y’a vraiment du monde qui se sente fille? Hé ben. »
Puis j’ai grandi et j’ai réalisé mon orientation sexuelle. Et j’ai commencé à expérimenter. Vouloir me couper les cheveux, vouloir avoir l’air plus masculin. Essayer le pronom il, iel. Essayer mon nom. Mes surnoms ont d’ailleurs pour la plupart été masculin depuis mon enfance. Roger, Pedro… Et l’inévitable est arrivé. Les vieux et les jeunes enfants ont tendance à genrer le monde à partir de leurs cheveux. Et j’ai réalisé que il, ça me faisait me sentir dans mes souliers, dans mon corps, dans mon être. Le monsieur, le gars. J’ai trouvé mon genre. J’étais là. J’ai toujours été là. J’ai jamais été une femme.
Comme un phénix se relevant de ses cendres, il a fallu m’immoler pour renaître. Mon monde s’est écroulé. C’est bien beau d’être soi-même, d’être authentique, mais le monde dans lequel nous sommes ne le permet pas à plusieurs. On m’a dit:
« Non, t’es pas un gars. T’es une fille, t’as un vagin, t’es hyper féminine. C’est les autres, on t’influence. Tes amis, là. Avec leurs problèmes. C’est pathétique de devoir changer de nom pour être toi-même. Les gens comme ça méritent l’asile des fous. Redeviens toi-même. Tu seras jamais un gars. »
On m’a fait voir des psy pour me régler. Bien sûr, c’était un échec. On m’a suivi dans les corridors. On m’a jappé après, on m’a traité comme un cas, un phénomène, un kink, un enfant mélangé, une folle qui morderait si on la mégenrait. On a fait de moi une joke, un pionnier de la transidentité. On m’a dit que j’étais brave autant de fois qu’on m’a dit que j’étais pathétique. On m’a dit que j’étais trop trans et pas comme les autres trans. On pointait tout ce qui n’allait pas avec mon corps. « Les hommes ont ci, les hommes ont ça. »Avec mes centres d’intérêts jugés trop peu masculins. J’ai arrêté d’aimer les robes, j’ai arrêté d’aimer chanter, d’aimer un tas de trucs. On m’a modelé, on m’a bien mis dans la case qu’on voulait. Comme si l’humain pouvait être une et unique chose, comme si les gens me connaissaient mieux que moi-même.
Une chance, il y avait d’autres phénix autour de moi. Entre nous, on a tendance à s’aider. Une fille avec qui je travaillais m’a dit qu’elle pouvait me donner ses anciens vêtements, ou un lift pour une thérapie de groupe. On m’a donné un vieux binder, on m’a écouté quand je me sentais au plus bas. On m’a rassuré. Ensemble, on prenait soin de nous. Les regards complices avec des inconnus qui nous semblent moins étrangers que plusieurs personnes qu’on connaît bien. J’aime être trans. Ça a quelque chose de magique quand on peut l’être à voix haute. Je n’ai plus honte d’autant de choses. Mais tout de même, en voyez-vous, des trans à la télé, qui ne finissent pas par en mourir, par se faire intimider, par se mutiler? Ou dans la vraie vie, des adultes transgenres? On est là, mais combien d’entre nous ne verrons pas la quarantaine? C’est rude comme réalité. Ça prend une force de caractère, de la résilience et beaucoup de stabilité dans sa vie à la base pour pouvoir surmonter quelque chose d’aussi instable et solitaire. Parce qu’au fond, la douleur qu’on ressent provient surtout des choses qui sont sensés nous aider dans la vie: la famille, le système de santé, l’école… mais qui ne sont pas adaptées à nos besoins. C’est triste de demander de l’aide et de n’en recevoir aucune.
Je me suis détesté au point de ne plus vouloir respirer. Pourquoi j’avais pas fait des crises de bacon quand on m’a mis dans une robe à quatre ans? Pourquoi je ne pouvais pas juste être une fille, pourquoi je ne pouvais pas juste être comme les autres gars? Pourquoi c’était à moi de me créer, alors qu’une majorité de gens sortent d’un ventre et n’auront jamais à aller chercher leurs hormones, ou à devoir se définir trois fois par jour? Le problème avec la transphobie, c’est que ça se contredit super facilement, mais c’est normalisé et assez identitaire. Les gens se disent que si eux basent leur genre sur leur sexe et d’autres basent leur genre sur leur ressentis, c’est parce que quelqu’un a tord. Quel argument y a-t-il en faveur de la nature exclusivement féminine ou masculine si des gens naissent avec d’autres chromosomes que XX et XY? Qu’est-ce qui justifie la dualité femme-homme si quelqu’un qu’on pensait homme peut s’avérer une femme et vice-versa? Le genre humain serait-il plus diversifié qu’on l’oblige depuis le colonialisme (comme le prouve la panoplie de genres traditionnels qui existent depuis la nuit des temps)?
On mutile vraiment des bébés pour qu’ils se conforment à la binarité? On traite vraiment de fille un gars parce qu’il est plus féminin, mais on traite aussi une femme d’homme parce qu’elle est née avec une queue?
Au Québec, si on n’inclut pas les personnes non binaires, en 2021, on était 9 865. En les incluant, on était 16 225. Et ça c’est sans compter toutes les personnes intersexes, qui malgré leur petit nombre, existent (1). Et toutes les personnes qui s’empêchent d’être qui elles veulent à cause de la pression sociale qui les entourent. Faque oui, j’suis en criss. Pour nous tous. Parce qu’on est pas capable de comprendre que tout est rarement noir ou blanc, femme ou homme, alors que le monde serait plus simple si on arrêtait de vouloir tout trancher en deux.
Donnons-nous la chance d’exister sans se contraindre dans l’étroitesse de notre conception humaine.
(1) Au Canada, on ne recense pas encore le nombre de personnes intersexes (Tiré de: https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/11-627-m/11-627-m2022049-fra.htm)