Les dernières notes ont quitté son instrument pour s’évaporer dans l’espace de la salle. Un embarras s’installe à son aise, tout autour, mais elle ne saurait en trouver la cause. L’énigme se cristallise au même moment que sa dignité s’effrite.
Tout s’illumine enfin comme si le projecteur s’était braqué sur l’intérieur de sa tête. Personne ne l’avait encore acclamée. Personne n’était en train d’applaudir.
Avaient-ils détesté ? Ou bien avait-elle joué faux d’un bout à l’autre? Elle s’était plantée d’un seul coup. À l’instar d’Icare, ses ailes l’avaient emportée tout près du Soleil et, en la trompant, l’avaient plongée dans un abysse silencieux.
Impossible. Toutes ces semaines à pratiquer n’avaient pas pu être vaines. Sa partition était une partie d’elle qu’elle aurait pu réciter les yeux fermés. L’incompréhension céda sa place à la panique. Ses poumons s’entrechoquèrent avec son cœur, chacun la prenant comme otage. Otage de son propre corps. Elle s’était promise, elle avait juré.
Si elle ne réussissait pas ce soir à éblouir l’assemblée, elle devrait arrêter et mettre un terme à la barre de reprise qu’elle empruntait depuis ses quatre ans. Demain, dans les journaux, on pourrait lire: « Jeune musicienne commet une catastrophe sur scène ».
Ce point d’orgue allait-il cesser pour la laisser souffler? Elle qui, depuis sa plus tendre enfance, avait souhaité égayer les gens avec sa musique. Peu importe, une résignation face à l’abandon la posséda. Enfin, elle se leva de manière sèche et remercia d’une courbette le public. La scène sembla vide d’un coup, même si elle serait toujours hantée par le fantôme de la jeune musicienne.
À ce même moment, derrière elle, les applaudissements fusèrent de part et d’autre de la salle.