La bonté est une vertu intéressante, définie par les internets en une qualité qui porte à faire le bien, à être bon pour les autres. Comme un grand sage l’a sûrement déjà dit à quelque part : « c’est l’intention qui compte ».
J’étais assise sur un divan à quelque part, information impertinente pour cette histoire, alors que mon téléphone sonna. Je lis le nom sur l’afficheur et hésite quelques secondes à répondre. Elle m’appelle tout le temps pour rien, Reb, et quand bien même je lui offrirais la lune, je n’avais pas envie de lui prêter mon attention pendant ma période de lecture.
« Peut-être qu’elle est à l’hôpital », retentit une petite voix dans un coin de ma boîte crânienne. Apparemment, j’avais oublié d’éteindre ma bienveillance et à réflexion, c’était fort probable. Je me souviendrai toujours de la fois où elle s’est fait battre violemment dans un enclos par des chèvres enjouées qui l’avaient méprise pour un sac de boxe.
Je décroche. Elle fait une demande d’appel vidéo. J’accepte.
Devant mes yeux, à travers l’écran, une vision horrifiante s’offre à moi. Une créature des abysses, avec au moins deux yeux globuleux, me regarde fixement. Ce n’est pas Reb, visiblement, mais je sais qu’elle est présente parce que je l’entends rire et qui plus est, ce homard n’a clairement pas les compétences requises pour m’appeler avec ses pinces. Je demande vulgairement, mélangeant injures et anglicismes, ce qui se passe.
– C’est Alfredo! On vient tout juste de l’adopter!
– C’est qui, « on »?
La caméra se retourne, deux visages apparaissent à l’écran. Reb est avec Cassy, ma deuxième meilleure amie et sa partenaire en niaiseries de prédilection. Je suis perplexe. Je sais que leurs explications risquent simplement d’embrouiller la situation plus encore, mais je suis curieuse.
– Adopté? Où ça?
– Au Métro, répondent-elles à l’unisson.
– D’accord, mais vous allez faire quoi avec?
– Lui donner une belle vie, j’imagine.
– Donc vous n’allez pas le tuer, j’espère?
– Bien sûr que non!
Leur ton est presque indigné.
Je décide de leur faire confiance, premièrement parce que ce sont de bonnes personnes, mais aussi parce que je n’ai pas vraiment le choix. Je suis à une heure de route et ma mère m’a dit qu’on n’avait plus de place pour d’autres animaux à la maison, même des crustacés discrets et bien entretenus. Je leur fais mes au revoir, leur dit que je les aime, oui, Alfredo aussi, mais je dois étudier alors je raccroche.
Du temps a coulé, ou glissé, je ne connais pas sa texture ni la façon dont il préfère se promener mais bref, j’ai oublié temporairement mon interaction avec mes aventurières à maigre budget. Comme je suis un facteur tierce dans cette histoire, je ne prendrai pas la peine de relater les circonstances dans lesquelles je me suis dit qu’il fallait que je prenne des nouvelles du homard : je l’ai fait et c’est le plus important. Alfredo est mort.
Colère, surprise, déni, déception et autres étapes du deuil me traversèrent l’esprit, mais je ne les ressens que très peu, Alfredo représentant pour moi un cousin lointain mort seul dans son appartement à l’âge mûr de 45 ans. Parce que je n’étais pas présente lors du décès de l’animal, et que raconter ce que Reb m’a dit sur sa mort serait, ma foi, fort ennuyant, je propose de décrire la scène ci-dessous comme on me l’a racontée.
Les homards respirent de l’eau, c’est un fait établi, mais apparemment pas n’importe laquelle. C’est ce qu’a appris Reb après qu’elle et Cassy aient déposé Alfredo dans un bol.
– Tu ne trouves pas qu’il devient un peu bleu? Demande Reb, soucieuse.
– Non, il a toujours été comme ça. Rajoute un peu d’eau tiède, il a l’air d’avoir froid.
Fin de la scène.
Ses sauveuses métamorphosées en faucheuses, Alfredo mourut dans de l’eau douce et tiède à peine 15 minutes après qu’on m’aie informé de son existence. Il ne fut pas mangé, par respect, mais ses funérailles ne pourraient pas être qualifiées de glorieuses non plus. Les parents de Cassy le lancèrent de toutes leurs forces, du moins, je me plais à l’imaginer pour l’aspect humoristique, dans une poubelle et l’histoire finit là.
La bonté, dans le fond, c’est s’essayer, mais rien ne garantit la réussite. Alfredo est un bon exemple, parfait même, de notre fameux dicton. Sa liberté fut brève, mais j’ose espérer qu’elle en valut la peine. En tout cas, selon le site de Métro, elle se vend à 55$ le kilogramme.
Autrice: Catherine Lalande