Texte par Marie-Yu Jacques, science humaine profil monde
La mort m’effrayait. Je faisais des cauchemars où je me voyais mourir de toutes sortes de méthodes. Alors, je me réveillais, le souffle court, les membres tremblants. Parfois, je faisais le saut parce que je voyais une silhouette devant moi, dans le miroir. Parfois, quand j’y pensais, je me mettais à angoisser. Que m’arrivera-t-il après ma mort? Vais-je aller au Paradis? En Enfer? Au royaume des Schtroumfs? Et quand je mourrai, que se passera-t-il avec ma conscience? Serai-je encore… consciente? Prisonnière dans un labo de recherche? Je préférais ne pas y penser. C’était pourquoi je réessayais toujours la simulation du 19 mai 2019. Je voulais combattre cette peur, mais je n’y étais jamais arrivé.
-Simulation du 19 mai 2019 commencée, dit une voix métallique.
~ -La vie après la mort, nous avait alors dit mon enseignant. Je veux soit un texte de 175 mots, soit une vidéo de trois à cinq minutes. Vous devrez me le remettre le 27 mai 2019. Au travail.
Quel beau projet. Pour quelqu’un dont la mort ne filait pas une peur bleue. J’avais essayé de me concentrer du mieux que je pouvais. Il n’empêchait que je tremblais pendant ma recherche. Assise devant mon ordinateur, je cherchais sur le net des informations sur des sujets que je pourrais peut-être exploiter.
-Ah, je pourrais peut-être mettre le panthéon égyptien dans mon film. Horus, Seth, etc.
Plus je réfléchissais à cette idée, plus elle me déplaisait.
-Je ne peux rien développer sur le sujet, soupirais-je, je ne veux pas parler de la reconstitution de… d’une certaine partie d’Osiris dans mon film, ce serait trop embarrassant.
Je cherchais d’autres mythologies à exploiter.
-L’arbre d’Yldred de la mythologie scandinave… hm… intéressant. Sauf que je n’ai pas envie de grimper dans un arbre et je ne vois pas comment je pourrais introduire ça dans un film. Argh!
J’enlevai mes lunettes contre les rayons bleus nocifs de l’écran d’ordinateur et me massai ma non-existante arrête de nez.
-J’ai encore du temps. J’ai le temps de trouver quelque chose de potable
Finalement, j’avais réussi à filmer toutes les scènes. Tout était organisé. Chaque scène était détaillée dans un document Word. J’avais réussi à tourner en un avant-midi. Puis, j’avais délaissé tout ça pour me concentrer sur d’autres examens. Une semaine avant la date de remise, j’avais commencé le montage. Il ne me manquait que les voix-off. Le ***** de logiciel avait décidé de me laisser sur le bord de la route. Les fichiers, corrompus. Le dossier, inutilisable. L’introduction avec la musique j’aimais bien, envolée
-Mais ce n’est pas possible! Fulminai-je en regardant mon ordinateur. J’ai passé du temps sur ce projet et tu me lâches maintenant? Tu n’aurais pas pu corrompre mes fichiers la semaine prochaine? Mais non, le logiciel a décidé de planter.
Je retirai rageusement mes écouteurs. Je me concentrai et essayai de me calmer.
-Je connais mes sujets. Je sais écrire sous la pression. Tout va bien aller.
Je soufflai de découragement. Et si j’avais le syndrome de la page blanche? Je secouai doucement ma tête. Non, ce n’était pas le temps d’être défaitiste. Je me remis sur mon ordinateur. Injuria mon logiciel une dernière fois. Mit de la musique, mes écouteurs et mes lunettes. Ouvrit Word.
-Bon, il y a la théorie du Darwinisme de Darwin et du Big Bang que je voulais joindre ensemble. Le Soleil va finir par exploser et tout raser autour de lui. Le Big Bang a commencé lui aussi comme ça : une étoile qui explose. Et si la fin de notre monde était le début d’un autre? Si notre monde était la renaissance d’une autre civilisation semblable? Et si nous étions une évolution de l’ancienne race vivante? Et si la prochaine était encore plus développée que nous? Ou serait-ce la même au fil des millénaires? marmonnai-je en même temps d’écrire. Deux théories en une. Ah, il y avait aussi la théorie des expériences de mort imminente.
C’est assez effrayant quand on y pense. Il y a peut-être un esprit qui lit par-dessus mon épaule présentement… S’il y a des fantômes qui se baladent, y a-t-il des embouteillages aussi chez eux?
Je regardai la feuille de consignes. Il me manquait une personne importante et deux citations.
-Je pourrais introduire une allusion à Dieu ou à Satan. Mais comment l’introduire? C’est ça le problème avec les religions, on ne sait pas comment en parler sans froisser quelqu’un.
J’ouvris une page web.
-Il me manque une citation trouvée sur Internet. Ah tiens, je pense que j’aime bien celle-là : <<La mort c’est le meilleur moment de la vie ; c’est pour cela qu’il est préférable de le garder pour la fin.>> Elle est de Gustave Parking. La mort serait comme un dessert? Pensai-je. Alors pourquoi a-t-on si peur d’un shortcake aux fraises? C’est inoffensif. Si on n’en fait pas manger à des personnes allergiques aux fraises, au gluten et au lactose.
Je pris mon agenda et chercha une date.
-Où est mon Post-it avec la citation de Marie-Yu Jacques?.. La voilà! <<Nous créons les péripéties qui pavent notre chemin.>> Comme le dit un dicton : on récolte ce qu’on a semé. On choisit d’avoir une vie plus facile ou plus difficile. C’est donc ta faute, Stella si tu fais ton travail à la dernière minute. Je relu mon texte. Je fermai mes yeux pour me reposer un peu. Je sentis le décor se modifier. ~
-Simulation terminée sur le texte d’ECR du 19 mai 2019, dit une voix métallique.
J’ouvris mes yeux dans une pièce entièrement blanche et dépourvu de coins. Je frissonnai et claquai des dents. Je ne portais qu’un t-shirt rose et des jeans gris. Je me levai de la surface molle d’où j’étais et allai directement au miroir, rageuse de ne pas avoir pu m’empêcher de trembler à la mention de la mort. Je me regardai dans le miroir. Mon corps avait changé depuis fort longtemps. Les hommes et les femmes avaient tous la même carrure puisqu’elles ne portaient plus d’enfants. Mes globes oculaires étaient plus gros et s’étendaient jusque sur les côtés pour voir à presque 360 degrés sans tourner la tête5. Mes oreilles avaient été remodelées pour mieux entendre toutes les gammes de sons. Je n’avais pas de bouche. Pourquoi en avoir une quand on peut parler par la pensée sans utiliser notre énergie à faire bouger nos lèvres? Beaucoup se demandait comment faisaient les humains.
Quelle tâche fastidieuse selon certains. Mon visage n’arborait pas non plus de nez. Ma peau était conçue de façon à laisser passer l’air. Les portes détenaient une partie de notre ADN grâce à un échantillon de sang qu’on donnait à l’achat. Alors, on avait juste à passer au-travers. En revanche, la porte se durcissait si un être indésirable essayait d’entrer. J’allai dans ce que les humains pouvaient appeler une cuisine. Ce n’était ni plus ni moins qu’une pièce où régnait un compartiment contenant un gaz réfrigérant. J’allai me servir un autocollant contenant tous les nutriments dont j’avais besoin et l’apposa sur mon ventre, là où anciennement était le nombril.
Je regardai mon bras où l’heure s’affichait. J’attrapai un sac à dos, le mit et appuya sur un bouton encastré dans le mur. Le toit s’ouvrit. J’appuya à nouveau sur mon sac cette-fois-ci et les propulseurs à air comprimé m’aidèrent à m’envoler vers mon travail. Je survolai la ville. L’air extérieur était irrespirable8, c’était pourquoi nous devions porter une combinaison qui couvrait notre corps en entier et qui comprenait une mini réserve d’air traité. Le Soleil ne se levait jamais, pas à notre connaissance en tout cas. Le ciel était bien trop sombre pour qu’on puisse le voir. Tout le monde se demandait ce que ça faisait de ressentir les rayons chauds du Soleil. Je me posai au pied du seul bâtiment aux panneaux réfléchissants de la ville et salua un robot à l’entrée.
<<Salutation, veuillez donner votre numéro de naissance.>>
<<NV0106.>>
<<Bienvenue à nouveau. Je vous transmets votre horaire du 30 février 2060 tout de suite.>>
L’horaire arriva sur mon bras et je le consultai immédiatement.
<<Si je peux me permettre NV0106, vous travaillez énormément. Vous n’allez qu’à l’agence et à votre appartement. Peut-être serait-ce préférable pour votre corps que vous vous amusiez pl-..>>
<<Merci, bonne journée.>>
Une fois passée, je me retrouvai dans une salle de nettoyage. C’était obligatoire pour tout employé travaillant dans un centre de naissances 10et de remodelage d’imperfections.
Aucune bactérie de l’extérieur ne devait franchir ces portes.
<<Hallo NV0106. (Bonjour NV0106)>> me dit un collègue.
<<Давай хутчэй! (Viens vite!)>> s’écria un de mes coéquipier.
<<Que se passe-t-il? >>
<<Newborns have a problem and I can’t tell what it is. (Les bébés ont un problème et je n’arrive pas à savoir lequel.)>> expliqua calmement mon voisin.
Je les examinai.
<<Ils leur manquent la puce pour les langues. JN2416, tu aurais dû t’en être occupé depuis longtemps.>>
<<Sorry. (Désolé.)>>, souffla-t-il, penaud.
<<Répare ton erreur immédiatement et je te pardonnerai.>>
<<NV0106, me héla mon supérieur. Viens ici.>>
<<Tout de suite.>>
Je le suivi dans son bureau situé au centre de l’agence. Un garçon était à ses côtés.
<<NV0106, je te présente Ryan.>>
Je hausse un sourcil.
<<Ryan? Il s’appelle Ryan monsieur? Pourquoi ne pas me donner son numéro de naissance?>>
Mon supérieur soupira.
<<Parce qu’il n’en a pas.>>
Je regardai Ryan avec attention. Effectivement, il avait les traits d’un être humain. Des yeux, un nez et une bouche.
<<NV0106, c’est à vous de déterminer pourquoi il est ici. Il faudra également adapter son enveloppe corporelle à notre milieu. Vous êtes la meilleur dans ce domaine alors je vous fais confiance.>>
<<Merci.>>
Jusque-là, Ryan avait observé notre échange sûrement muet à ses oreilles. Je vais devoir aller chercher une tablette pour qu’il me comprenne. Je lui pris la main pour qu’il me suive. Il me suivit en me dévorant du regard, ses expressions faciales trahissant chacune de ses émotions. Un mélange de curiosité et de peur en l’occurrence.
-Où allons-nous?
Je mis mon doigt sur ma bouche pour l’intimer à se taire. Si quelqu’un l’entend ici, ce sera le chaos. Et je ne peux pas permettre ça. J’ai déjà assez de travail comme ça. Je l’amenai dans une pièce destinée à l’observation des nouveau-nés dès leur sortie de l’incubateur. Je lui fis passer une série de tests. Pas de doute, il était bien un humain.
-Comment t’appelles-tu?
Il me posa cette question si doucement que je failli ne pas ’entendre. Je pris ma tablette et griffonna quelque chose.
-Tu te nommes NV0106? Je pensais que tu avais un vrai nom, comme moi.
Je suspendis mon analyse. Sa question me replongea dans mon passé. Un passé où j’avais des parents. Un passé où mon physique était comme le sien. Un passé où je parlais avant qu’on ne me sectionne les cordes vocales. C’était un passage obligé pendant la transition : plus besoin de cordes vocales quand on avait une puce pour la télépathie. Alors on nous les sectionnait. Je me souvenais de mon ancien nom, comment aurais-je pu l’oublier? Je le lui écris sur la tablette.
-Stella, répéta-t-il. Stella.
L’entendre prononcer mon ancien nom me procura une bouffée de chaleur. Ça faisait si longtemps qu’on ne m’avait pas appelé par mon prénom.
<<Allonge-toi là>> je lui écris.
-Que vas-tu me faire?
Il fallait que je lui enfonce des aiguilles dans le corps pour ce test.
<<Ça va piquer>>
Je lui enfonçai la première.
-Tu fais ça comme un charme, je ne ressens rien. C’est pour quoi ce test?
<<Je vais fouiller ta mémoire nerveuse. Pour savoir pourquoi tu es ici. Je vais aussi fouiller dans tes souvenirs. Je suis désolée.>>
Il rit doucement.
-Ne te gêne pas. Je n’ai rien à cacher.
Je lui enfonçai la dernière aiguille et alla à l’ordinateur pour exécuter mes recherches.
Il m’indiqua ses souvenirs et ses sensations. J’allai dans ses souvenirs et y vit notre rencontre. L’ordinateur m’indiqua également ce qu’il avait ressenti pendant ce moment-là. Puis, j’allais dans le souvenir précédent quand le fichier devint noir. Ryan vit mes sourcils froncés.
-Quelque chose ne va pas?
Pourquoi était-ce noir? Il n’y avait rien? J’allai dans la fiche sur son activité cérébrale. Sur la ligne du temps, je vis un autre trou. Le cerveau s’était arrêté. Il serait donc mort?
-Stella, réponds-moi!
La mention de mon nom me fit sursauter. Je pris ma tablette et expliqua la situation à Ryan. -Alors, commença-t-il, je serais mort selon toi.
<<Selon les analyses oui. L’ordinateur n’enregistre aucun battement de cœur.>>
-Et je serais dans une sorte de monde parallèle. Je ne me suis pas rendu au paradis mais dans une autre réalité.
<<Ça, c’est ce que tu dis.>>
Il prit un moment pour réfléchir.
-Eh bien, j’aurais pu tomber plus mal.
Je le regardai, les yeux ronds.
-Ben oui, je t’ai rencontré. T’es pas si mal dans ton genre si on aime les poissons.
<<Charmant.>>
-Alors, qu’est-ce qu’on fait? me demanda-t-il
Je réfléchis.
<<Je n’en ai aucune idée. Parle-moi de toi en attendant que j’aie des idées.>>
Alors il me raconta sa vie, ses envies, ses buts. Sa voix m’apaisait. J’arrivais à oublier le monde qui m’entourait. J’oubliais tout le monde sauf lui. C’était le seul qui prenait le temps de me parler. Mes collègues de bureau me considéraient trop vieille parce que j’avais vécu la transition. J’adorais entendre Ryan parler. Pour une fois depuis longtemps, ma voix me manquait. Je sursautai quand je remarquai quelque chose d’étrange avec lui. Il palissait. J’arrivais à distinguer la table d’observation au-travers de ses jambes. L’ordinateur se mit à émettre un bip lent, mais régulier. Était-ce possible qu’il… revienne à la vie? Je lui pris les mains. Elles n’avaient plus la consistante d’avant quand je l’avais amené dans cette salle. Je sentais une chaleur, mais pas de présence. Ryan regarda l’ordinateur qui émettait ses bips réguliers.
-Ça doit être les ambulanciers. Ils s’acharnent peut-être sur mon corps avec un DEA.
Il me prit dans ses bras.
-Je m’en vais. Je suis content de t’avoir connu Stella. Merci d’avoir fait ton possible pour savoir ce qui clochait avec moi. Quand je vais mourir à nouveau de vieillesse cette fois-ci, je te reverrai peut-être.
Ryan était presque invisible à présent. Je sentais à peine ses bras dans mon dos.
-À plus tard Stella, chuchota-t-il, prends soin de toi. Je reviendrai. Sa voix s’estompa en même temps que son corps. J’étais désormais toute seule.
<<À plus tard Ryan. On se reverra.>>
Cette nuit-là, je m’étendis sur mon lit et programma à nouveau la simulation du 19 mai 2019. Sous mes yeux, mon décor se modifia.
~
J’ouvris les yeux. Mon cadran indiquait 22 : 34, 19 mai 2019. Je rassemblai mes idées. Grâce à Ryan, je pu ajouter des détails à mon histoire. Je pris trois jours à écrire un texte sur la vie après la mort contenant toutes les exigences. Je le relu. Je peaufinai plusieurs détails et révisai mes temps de verbes. J’envoya le fichier Word à mon enseignant, dès que j’eu pressé le bouton envoyer, mon décor changea.
~ -Simulation terminée, dit une voix métallique.
Je me recouchai. Aucun cauchemar ne vint hanter mon sommeil, j’avais enfin combattu ma peur de la mort.
Fin