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Dessin de Catherine Lalande

J’ai souvent eu honte de toi. Je t’ai pris et j’ai tenté de t’effacer. J’ai souvent eu honte de toi. Tu n’étais pas assez fort, agile ou rapide. Pas assez précis, saccadé dans tes mouvements, même dans tes battements. Tu m’essouffles. C’est fatiguant. Tu es un monarque perdu dans les Caraïbes. Pour les autres, ça semble tellement facile de trouver le Mexique.

J’ai eu honte de toi. Parce que tu n’avais pas ce qu’ils avaient. Tu étais trop petit, trop mince, des fois trop gros, trop moche, trop puant, trop insignifiant, trop trop. Puis j’ai compris.

Les amis partent. Les jours jaunissent. Les travaux deviennent obsolètes et les vêtements trop petits. Seul alors, je grandis et marche, et cours, et chante et parle. Je sautille, plonge, mange, bois, aime. Je regarde et je vieillis, je tombe malade, je pleure. Seul alors je suis. Tu es le même depuis que tu es sorti d’un ventre. Celui qui jouait au ballon chasseur à la récré, celui qui pleurait à chaudes larmes devant la perte d’un être cher. Tu étais là à ma graduation, à mon déménagement, et tu seras là lorsque mon patron m’appellera dans dix ans, lorsque j’accueillerai des enfants, et quand je me fanerai. Tu es là, tu le seras toujours tant que j’y suis, et même un peu après moi.

Nous grandissons ensemble, inséparables. Mes mémoires sont les tiennes. Quand j’ai mal, tu souffres aussi. Tu me suivras de puberté à ménopause, de puberté à andropause. Tu me suivras partout où je vais, toi coquille, moi escargot. Tu es ma maison, ma prison, comme on est prisonnier de la Voie lactée. Libre, curieux face aux découvertes qu’on peut y faire. Épeuré face à l’idée de l’apocalypse, au mystère sombre de notre mort et à celui de notre simple existence.

Ô corps, j’ai beau te détester et te blâmer, tu es mon plus beau cadeau, car grâce à toi, je peux écrire ce texte. Grâce à toi, je peux respirer. Rire. Vivre.

Nos âmes seraient bien tristes sans yeux pour faire jaillir leurs chagrins et sans cordes vocales pour hurler leur désespoir. Elles seraient agitées si elles ne pouvaient pas, par un bel après-midi d’été, profiter de ces choses qui peuvent uniquement être par le biais de l’expérience physique. Ne soyez pas trop dur avec votre cadeau: vous seriez bien malheureux sans lui.

Alexis Coutu

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